Sculpteurs d'Afrique et Michel François
Galerie 59pm
Exhibition March 4 - April 3, 2021
Depuis l’Antiquité égyptienne qui livra les premières représentations de chaises dans l’art, en passant par la Grèce et la Rome antiques jusqu’au Moyen Age en Europe, la chaise ostentatoire et symbolique, fut l’apanage des puissants jusqu’à la Révolution Industrielle. Constituée simplement de quatre pieds qui composent son piètement, d’une assise et d’un dossier, la chaise devenue omniprésente dans notre quotidien, s’inscrit au cœur de toutes les interactions sociales.
Défini comme un « siège à dossier, sans bras », le mot chaise est issu du latin « cathedra » qui désigne initialement la cathèdre, un « siège muni d’un haut dossier », renvoyant plus précisément au trône, à la tribune ou au siège de l’évêque. Cathedra a donné lieu au verbe désuet « cathédrer » qui signifiait en ancien français « siéger ». Il engendra également les mots cathédrale, chaire et chaise. Le mot chaise puise donc son étymologie en français dans la liturgie chrétienne, en l’occurrence la cathèdre qui symbolise l'autorité, l'enseignement et la juridiction épiscopale. La chaise symbolise aussi et surtout la stabilité, l’équilibre et l’harmonie. L’action même de s’asseoir, du latin « sedere » (être assis), qui a donné « sedentarius » (sédentaire), a profondément modifié le comportement social de l’être humain. Contrairement à la verticalité de la position debout, inhérente au développement physiologique particulier de l’homme, la posture assise ancre le corps, pour un moment, dans l’immobilité, l’apaisement. Elle oriente réflexions et actions vers une autre conscience.
Dans de nombreuses cultures africaines, le siège entretient un rapport étroit à l’ancestralité et aux esprits de la nature par son ancrage dans le sol, et illustre le statut de celui ou de celle qui l’occupe. Il reflète aussi la conception de qu’ont ses créateurs de l’univers environnant, et du rapport de l’homme au monde. Les chaises Dan, Gouro et Toma choisies se distinguent par une assise particulièrement basse, éminemment proche de la terre et d’un dossier incurvé, généralement doté de décorations soigneusement choisies. Chez les Gouro cette typologie de siège en forme de chaise est appelée gamble. Réservé exclusivement aux hommes à l’exception de certaines femmes, le gamble était doté d’un important pouvoir de protection.
La position assise modifie l’espace et la perception que nous nous en faisons. La Représentation d’une chaise de Michel François exprime ce changement de prisme. Point de départ de cette nouvelle proposition de 59 pm, la chaise brisée invite à une réflexion sur la modification, progressive ou radicale, du statut d’un objet, et de la dimension que nous lui décernons. C’est précisément ce questionnement, ce rapport à la perception, à l’espace et à l’équilibre - physique et symbolique – qui est ici mis en exergue. Dans la lignée de la révolution perceptive portée par Marcel Duchamp, Chaises autour d’une chaise attire l’attention sur cette décontextualisation, et ce glissement opérant une transformation profonde d’un simple objet usuel manufacturé à celui d’œuvre d’art. Néanmoins, si un objet peut être décontextualisé de sa fonction première apparente, les symboles qui s’y rattachent le sont tout autant. Car selon Lacan, le symbole est un signe associé à la culture dans laquelle il s’est épanoui. Et ce signe rassemble autant qu’il dissocie.
Sélectionnées pour leur qualité sculpturale, leur structure puissante malgré une certaine économie de moyens, les chaises ici présentées nous permettent également d’interroger notre perception, notre rapport aux choses, à l’art et à notre regard même.